Peur sur le NIL

Depuis quelques mois vous entendez parler du véritable exode des prospects français vers la NCAA, le championnat universitaire américain. Jusque là on savait que la richissime NBA aspirait les meilleurs talents frenchies. Les JuCo ou Prep Schools faisaient aussi de l'oeil aux plus jeunes mais désormais ce sont les talents entre 18 et 22 ans qui sont ciblés depuis l'apparition des NIL, Name Image Likeness... autrement dit l'arrivée de la thune pour les joueurs universitaires. Quels seront les impacts sur un championnat comme la Betclic Elite et plus spécifiquement sur un club comme le CSP ? Dossier.
La tradition NCAA du bénévolat
Depuis toujours, la NCAA brasse des millions mais tient à un concept clé : les athlètes ne sont pas rémunérés, une sorte de virginité hypocrite à la faveur de laquelle les "étudiants-athlètes" se voient offrir leurs frais de scolarité et d'hébergement. Ceci représentait déjà quelques dizaines de milliers de dollars pour un cycle classique de 4 ans mais avec l'hyperinflation des "tuition fees" on approche facilement les 6 chiffres aujourd'hui. Dans le même temps, les plus gros prospects vont rarement au bout des 4 ans et tentent la draft rapidement pour s'assurer un chèque en millions et mettre leur famille à l'abri. Ajoutons à l'hypocrisie l'aspect scolaire où, on le sait, la plupart des athlètes bénéficient de notations de complaisance... ce qui explique qu'on croise régulièrement de super-basketteurs "cons comme des planches" malgré leur beau diplôme universitaires (parfois en business ou compta !) et que bon nombre de ceux qui percent "modestement" (quelques saisons NBA ou internationales) se retrouvent ruinés à 40 ans car n'ayant aucune éducation financière et manquant parfois de bon sens, menant grand train sans penser à l'avenir.
Les coaches superstars
En parallèle, le sport universitaire générant des sommes astronomiques, les seuls professionnels rémunérés étaient jusque là les coaches et l'ensemble du staff technique. La plupart des autres emplois autour des équipes universitaires sont occupés par des étudiants rémunérés en... frais de scolarité réduits voire offerts. Besoin d'un intendant pour distribuer les serviettes ? Un étudiant. Besoin d'un responsable du matériel ? Un étudiant. Besoin d'une lingère ? Une étudiante. Besoin d'un coupeur de citrons ? Un étudiant. Idem pour les cheerleaders, les mascottes, le personnel de l'arena, les vendeurs de hotdogs etc... Concrètement les universités bénéficient d'une main d'oeuvre illimitée financée par les autres étudiants qui casquent plein pot (soit parce que leur famille est blindée, soit à crédit) et tout le business NCAA fonctionne ainsi depuis des décennies en se basant sur le spectacle produit par des étudiants-athlètes amateurs. Les coaches universitaires en revanche, véritables mentors et vitrines d'un "programme sportif" signent des contrats à 7 chiffres et certains préfèrent le confort d'une université où on leur donne le temps de construire au contexte extrêmement concurrentiel et parfois impatient de la NBA.
L'hypocrisie à son paroxysme : les boosters
Toute forme de rémunération des joueurs étant strictement interdite jusqu'à récemment (certains se sont vus exclure pour avoir accepté une paire de baskets !), les universités disposent parfois d'associations de mécènes appelées "booster clubs" qui prennent en charge les frais de déplacement ou offrent des soirées pizza à l'équipe... enfin ça c'est la version Disney et naïve des boosters. En réalité, ces groupements de partenaires locaux se sont souvent fait pincer pour avoir "aidé" au recrutement de joueurs qui découvraient par hasard ^^ sac de billets sur leur porche ou dont les parents trouvaient une voiture flambant neuve avec les clés sur le contact garée devant leur maison ou voyaient débarquer des équipes d'artisans pour réparer la maison sans facture... les exemples sont légion et ceci existe même au niveau lycée dans des proportions moindres mais néanmoins réelles. Nous ne saurions que trop vous conseiller le visionnage de l'excellent film BLUE CHIPS avec entre autres Nick Nolte, Shaquille O'Neal et Penny Hardaway qui illustre à merveille ces dérives. Pour les plus anciens cela rappellera d'excellents souvenirs, pour les plus jeunes, vous découvrirez un Excellent film de basket !
Les athlètes prennent leur image en main
De nombreux athlètes, dont pas mal de basketteurs, ont mené la charge contre la NCAA et son monopole financier. Objectivement les milliers de basketteurs de talent (mais le constat est le même pour les footballeurs américains, les joueurs de baseball, hockey etc...) enrichissaient jusque là le système, les universités, la NCAA mais pour la plupart ne faisaient pas carrière en pro. On les essorait jusqu'à 22 ans et après nada. Certes diplôme en poche mais ceux qui avaient passé plus de temps à la salle de muscu qu'à la B.U. étaient bien avancés. Beaucoup intégraient au mieux le staff de l'université ou allaient exploiter leur petite popularité en coachant en lycée mais bien loin des sommes espérées par les sportifs professionnels. Pensons également à ceux qui se sont gravement blessé pendant leur cursus universitaire et qui n'ont même pas profité de salaires pour leurs années "rentables" en NCAA.
La goutte d'O'Bannon qui a fait déborder le vase
En 2021, la NCAA plie enfin après un procès intenté par le basketteur Ed O'Bannon de UCLA qui a trainé l'institution en justice pour avoir exploité son image sans son accord dans des jeux vidéos (domaine non couvert par les conventions un peu datées que les joueurs devaient signer à l'époque). Face à la polémique et la pression croissante de l'opinion en faveur des étudiants-athlètes la NCAA a finalement accordé aux joueurs le droit de signer des contrats "NIL". Au départ seul un nombre limité de "stars universitaires" ont pu bénéficier de ce dispositif (rappelez-vous Ty Appleby qui avait signé un contrat avec la chaine de restaurants "Applebees" qui avait exploité la quasi-homophonie). Mais désormais, les universités via leurs partenaires (souvent les ex-boosters) ont bien compris comment exploiter cette faille dans le carcan de l'amateurisme pour recruter.
Des ponts d'or pour les espoirs internationaux
Une fois la digue rompue, les universités se voient en capacité de recruter à l'international. Le vivier américain est certes inépuisable mais il est notoirement pauvre au niveau des fondamentaux individuels et du Qi basket. Sans être condescendant, les lycées US sont souvent des usines à bourrins athlètes mais l'aspect technique et les fondamentaux individuels comme collectifs sont sans commune mesure avec l'Europe qui fournit des "gringalets" aux fondamentaux impeccables et au sens collectif cultivé depuis les catégories U11 pendant que leurs homologues US ne jurent que par le 1vs1.
Un raz de marée en 2025
Alors que jusque-là seuls les top-prospects européens tentaient déjà l'aventure NCAA sans les fameux contrats NIL, misant sur l'exposition aux scouts et le confort des installations universitaires , cet été devrait marquer une véritable révolution avec un nombre plus que conséquent de joueurs (y-compris des professionnels confirmés) qui partent chez l'Oncle Sam pour 1 ou 2 ans. Pensez donc, les noms suivants circulent régulièrement :
Roman Domon 6,1pts 3rbds en Elite et Evan Boidur 21,7 4,7 3,9 en espoirs (BCM), Wilson Jacques 14,9 10 en espoirs mais aligné en BE et EuroCup (Bourg), Ilias Kamardine 8,6 1,7 2,1 en Elite (Dijon), mais aussi Clarence Massamba (Monaco), Yohann Sissoko et Paul Mbiya (ASVEL), Timéo Pons (Nanterre) Illian Piétrus 27 & 5 en espoirs mais aligné en pros et Brice Dessert 9pts 5rbds en Elite (SIG), Nathan De Sousa 6,2 2,3 5,1 en Elite et mieux en FEC, meneur titulaire et 7ème passeur de ProA (Cholet), Mohamed Diakite (SQBB) ou même Alexandre Bouzidi (ex-CSP, parti en D3 allemande).
Pourquoi un tel exode ?
LA THUNE ma bonne dame ! LA MOULA version XXL !!! Au pays du jambon-beurre on transpire dans des gymnases un peu crasseux, on répète ses gammes et tout ça pour peau d'zob, au pays des burgers on évolue dans des conditions luxueuses et on touche des sommes qui font rêver. Concrètement, en France, les salaires minimums sont les suivants (source LNB) :
Salaire annuel BRUT minimal selon statut (1er contrat ou confirmé) :
- Betclic Elite de 22715€ à 37175€ (environ 3000€ net mensuels)
- ProB de 22510€ à 24640€ (environ 2000€ nets mensuels)
En NCAA, les contrats NIL commencent à 300000$ alors même si on enlève 50% d'impôts et 10% pour les agents on parle quand même de 10k$ mensuels, soit environ 8500€.
Cela correspond à peu près au salaire d'un joueur du calibre de Nicolas LANG (14ème salaire JFL de LNB avec environ 8000€ mensuels - Source BasketEurope) ! Comment les clubs français peuvent-ils espérer s'aligner ? Rémunérer des jeunes, pas tous confirmés, au tarif d'un international dans son prime est littéralement impossible. Et si on en vient à parler des conditions de travail alors là, on est carrément minables.
Des installations sportives hors du commun
Comme nous vous l'avons expliqué plus haut, les universités américaines disposent d'une main d'oeuvre à volonté. Et ils ne s'en privent pas pour choyer leurs sportifs : des étudiants préparent tout pour les athlètes. Concrètement, un joueur logé gratuitement sur le campus dans une grande chambre tout confort, vient le matin au centre d'entrainement (non ils ne s'entrainement pas dans l'arena mais dans des salles annexes au parquet impeccable) et trouve son kit d'entrainement lavé, plié et parfois rangé dans son casier personnel. Il participe à une séance individuelle ou collective avec des assistants coaches dédiés à des domaines précis puis il passe entre les mains du personnel médical (en formation dans la fac de médecine de l'université) avec des soins dernier cri (cryothérapie, electrostimulation etc...) avant de jeter son linge sale dans une corbeille en partant... Il mange gratuitement dans une des cafétérias du campus (parfois un chef et un nutritionniste interviennent pour les équipes de sport, dans la video de Wake Forest ci-dessous, les joueurs déjeunent en équipe dans une salle à manger installée dans les locaux d'entrainement) avant d'aller en cours et de refaire une séance avec pourquoi pas muscu dans un local au top ou encore de la vidéo dans une salle confortablement équipée en HD... rien à voir avec le vilain paperboard et le videoprojecteur qui diffuse à l'arrache sur un mur beige ou un écran à diapo emprunté à grand tonton que l'on trouve régulièrement en France. Comment comparer ces conditions matérielles à ce que beaucoup de clubs pros proposent ? Quand le CSP doit céder Beaublanc au LH et qu'il patiente dans un vestiaire de Jean le Bail le temps que les mamies de la gym volontaire libèrent le parquet, quelle est la crédibilité du club aux yeux des joueurs américains qui ont connu les conditions NCAA et quelle attractivité pour les jeunes talents par ailleurs courtisés par la même NCAA ? IMPOSSIBLE
Voici deux exemples de campus haut de gamme, disposant d'installations basketball de top niveau, mais gardez à l'esprit que même des facs beaucoup plus modestes fournissent à leurs athlètes des conditions d'entraînement très proches de celles-ci et que c'est en fait un standard vers lequel tendent la plupart des gros "programmes" de basket outre Atlantique. Visitez le campus de USC à Los Angeles avec les joueuses ou le complexe basket de Wake Forest.
Même la modeste université UCF à Orlando, Floride propose une expérience inégalable en France.
L'avenir de la formation française en danger ?
La NCAA va totalement déséquilibrer le basket français et européen. Les joueurs dont nous parlons, sont des piliers du championnat espoir au sujet duquel il va clairement falloir poser les bonnes questions. Cette compétition par ailleurs raillée pour concentrer des U21 entre-eux et que certains fuient pour aller s'aguerrir face à des grobabars en NM1 ou NM2 avant de venir vers la LNB, aura-t-elle encore du sens vidée de ses meilleurs éléments ?
Le mieux placé pour répondre à cette question c'est le président de la ligue française et le moins qu'on puisse dire, c'est que les solutions ne semblent pas se bousculer :
Philippe Ausseur (Président de la LNB) : "Contraints forcés de réformer le championnat espoir"
"On avait engagé une réflexion, on va désormais l’accélérer. J’allais dire que nous sommes maintenant presque contraints et forcés de réformer le championnat Espoirs. Mais tant mieux. Nous n’avons pas d’autres choix que de le valoriser encore plus. (...)Ce championnat doit clairement servir de mise en valeur pour nos meilleurs jeunes. Dans l’ensemble, le sujet NCAA va beaucoup nous occuper ces prochains temps." Source : BeBasket
Bon nombre de jeunes pros évoluent aussi en ProB avant de faire le grand saut vers l'Elite. Comment les 4 divisions au sommet du basket français vont vivre cette révolution ? Il y a clairement un risque de nivellement par le bas et plus particulièrement dans les divisions inférieures mais aussi un risque de vieillissement. Certains joueurs qui se voyaient contraints de descendre d'un cran face à la fraîcheur de la concurrence bénéficieront peut-être de quelques saisons supplémentaires à l'étage supérieur. A court terme, les championnats vont s'auto-nourrir mais à moyen voire long-terme les joueurs de centre de formation qui alimentent le basket de haut niveau français vont cruellement manquer aux clubs qui vont inexorablement devoir trouver d'autres sources de main d'oeuvre. Les "imports" de pays "moins formateurs" vont probablement se multiplier. Les recruteurs français vont certes piocher dans le vivier français en baissant leurs exigences mais ils risquent aussi d'aller détecter des potentiels bruts en dehors de nos frontières. Si les DOM TOM et l'Afrique était déjà des viviers intéressants, il faudra peut-être se tourner vers des pays modestes qui ne disposent pas de réseaux de formation et où on pourra trouver des pépites qui verront Jean Le Bail comme une installation de luxe. Les petites nations de basket pourraient ainsi se voir à leur tour pillées par les français (pensez Grande Bretagne, pays de l'Est, pays nordiques où le basket pro est relativement anecdotique). Mais attention : la France n'est pas la seule à subir les assauts des contrats NIL. L'Espagne, autre grande nation de formation, la Serbie et les pays des Balkans en général vont aussi devoir se réinventer.
Un appauvrissement technique du basket européen ?
Au delà des problèmes d'effectif que cela va poser à court terme, on peut aussi se poser des questions sur la qualité des apprentissages techniques en NCAA. Des espoirs vont quitter le giron national (et sa qualité de formation) pour aller claquer des dunks sur les défenses en carton des universités américaines. Si les facs NCAA sont si intéressées par les jeunes talents européens souvent physiquement plus frêles, c'est clairement pour leurs qualités techniques. Voyons là un aveu d'impuissance où les américains sont heureux de trouver du Qi basket là où ils ont du mal à le produire eux-même. Mais ne vont-ils pas tuer la poule aux oeufs d'or ? Là où le basket US dicte déjà la mode du basket mondial (voyez l'incidence du tir à 3pts depuis l'émergence de Steph Curry) les américains vont ils transformer nos jeunes pousses bleu blanc rouge en bourrins physiques NCAA ou vont'ils en profiter pour élever le niveau technique de leur championnat local ? Au pays de "America First" pas certain que les locaux fassent preuve d'humilité et changent leur philosophie. Il faudrait pour cela que des formations jouant à l'Européenne s'imposent dans la durée pour mettre la mode au pays. Mais quid de l'avenir ? Comment les américains vont-ils continuer à piocher dans un vivier qu'ils vont assécher ? Les formateurs européens sont-ils les prochains sur la liste des imports pour alimenter le réseau High-School et produire localement des joueurs au Qi basket supérieur ? Rien n'est moins sûr tant la totalité du système américain repose sur la sélection de masse et la prévalence du physique. Bon courage à qui voudra expliquer au fin fond de l'Indiana qu'un layup main droite à gauche c'est mal même si ça rentre !
Et à Limoges ?
Et bien le CSP a déjà fait les frais des évolutions de la législation américaine : l'an passé Martin CARRERE que le club comptait intégrer à l'effectif pro, a choisi de rejoindre Virginia Commonwealth University (VCU) (où il a choisi le statut de red shirt ne s'estimant pas prêt) et vient de transférer à la fac voisine de Virgina (qui dispute la prestigieuse conférence ACC) pour ses grands débuts NCAA. Pour la saison qui arrive, le CSP rapatrie de prêt à Roanne le jeune ailier Shawn TANNER (9,6pts 2,6rbds en ProB) un profil qui aurait sans doute trouvé preneur outre-Atlantique... ce genre de fonctionnement sera-t-il encore possible à l'avenir. Limoges devait déjà lutter avec Cholet ou l'ASVEL qui proposent des centres de formation très bien équipés... il faudra désormais composer avec la concurrence US et peut être concentrer les moyens de formation sur l'étage inférieur.
Parmi les solutions autour desquelles la fédération, la ligue mais aussi les clubs vont devoir réfléchir, la formation des très jeunes joueurs et le retour de NCAA vont sans doute jouer un rôle crucial. Nier la puissance de la NCAA dans les catégories d'âge 18-22 ans serait aussi idiot que de nier la puissance de la NBA sur les pros.
Un club pro comme Limoges devra peut-être exploiter un créneau négligé par les américains. Si former les tout-jeunes n'a jamais été une grande spécialité limougeaude, proposer aux "déçus de la NCAA" un retour dans le basket pro français pourrait être une perspective d'avenir. Refaire travailler les joueurs avec les règles européennes, les distances FIBA, le collectif européen serait une option potentiellement porteuse. Certains jeunes partis tôt (dès le lycée) se retrouvant à 22 ans ignorés de la NBA pourraient apprécier un parcours de réadaptation à l'Europe. Il faudra de toutes façon inventer quelque chose pour arriver à exploiter les failles de la NCAA et continuer à procurer des jeunes à l'effectif pro limougeaud.
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Hello Dario !
News
# 36 - Sup69 du CSP
24/06 - 10h56
@DIONYSOS: disons que , aussi bien pour les arrivées,que pour les départs, j'attends les annonces officielles,pour en prendre acte . Tout simplement. En attendant (toujours pour les arrivées et les départs) ,je préfère parler de rumeurs.