Le 15 avril 1993 : j'étais au CE2...

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Il y a des dates qui comptent dans une vie : mariage, naissance, décès etc...mais nous limougeauds nous avons la chance d'avoir des dates de victoires à se remémorer. Tout cela grâce à un club pour lequel nous sommes viscéralement attaché. À la veille d'une commémoration à faire pâlir des anciens combattants de la FNACA, je vous propose de vous replonger dans ce merveilleux 15 avril 1993 avec mes yeux d'enfant chanceux d'avoir pu vivre ce moment...

le 15 avril je suis entré dans les ordres


Dans la famille DesSports, il y a trois religions : le football (et l'OM), le Parti Socialiste et le Limoges CSP. Autant vous dire qu'en 2023, ce n'est pas toujours la fête dans la maison familiale, petit pavillon plantée dans une banlieue résidentielle de Limoges réputée pour y accueillir les cadres de chez Legrand. Aussi loin que je puisse m'en souvenir, le Cercle Saint Pierre est un sujet de discussion récurrent entre mon grand père, qui arbore fièrement le poster de l'équipe 1989/1990 avec le maillot Opel dans l'entrée de son garage comme une mezouzah, et mon père, fier soldat du feu à la capitale ne délaissant son sérieux militaire que le temps des exploits sportifs des enfants de Popelier. Il paraît que mon premier match à Beaublanc date de 1990 contre Montpellier. Je vais être honnête, je ne m'en souviens à peine. En revanche, je me revois parfaitement devant la télévision de chez mes grands parents pour l'Open McDonald's de 1991 face aux Lakers de Magic Johnson. Car oui à l'époque pas besoin de Wembanyama pour exporter le basket français. Le club de la ville de paysans, comme aiment le rappeler continuellement les métropolitains convaincus, domine les débats en France et en Europe depuis plus de dix ans.
En avril 1993, je m'apprête à boucler mon année de cours élémentaire 2e année avec pléthore de 7 et 8 sur 10, ce qui est bien mais pas top. Je passe mon temps à user mes crampons de football sur le terrain stabilisé du Puy Las Rodas avec mes copains, deux d'entre eux sont d'ailleurs toujours à mes côtés abonnés dans la travée 14 (putain 30 ans...). Le CSP pour moi ce sont les convulsions et les éructations de mon père au son de la voix de Radio France Limousin et du duo Montaudan-Maison. Les jeunes connaissent le "et ça rentre" de Jérôme Ostermann, moi j'ai vibré sur le "et il le meeeeeeeet" de Jeff Maison. C'est d'ailleurs avec la radio que nous allions suivre le plus grand exploit du basket français. Non ce ne sera pas la finale mais bien la demi-finale contre le Real Madrid de Sabonis. Mardi 13 avril 1993. Les hommes de Boja, qui sera surnommé "el maestro" par Marca le lendemain, terrassent une équipe soit disant invincible. Postés devant le poste de radio, nous n'osions croire à la performance incroyable de Michael Young bien secondé par mon idole basket Richard Dacoury. Nous allions vivre notre première finale de coupe des clubs champions. Malgré la joie dans la maison, je sentais que mon père était ailleurs : il ne verrait quasiment rien ou presque de la finale car il devait repartir dans la nuit en train "à la caserne" comme il disait pour une garde de deux jours et deux nuits.
Le 15 avril 1993 fut pour moi un jour lambda, car dans mon école soyons honnête on parlait plus de Papin, Cantona (l'idole ultime pour moi) ou Van Basten que du Dac, Kukoc ou Sabonis. On évoquait plus aisément Michael Jordan et la NBA que le basket européen. Je me souviens tout de même qu'un copain de classe avait dit "mon père y pense que de toute façon Kukoc y va nous en mettre 40". Car oui comme une religion, on entrait ou pas dans la folie CSP grâce aux croyances de nos parents. Et moi j'avais cette chance folle d'avoir un père fou de sport mais aussi une mère au diapason de cette passion. Lorsque mes devoirs furent bouclés, elle m'annonça la bonne nouvelle : je pouvais regarder la finale en totalité. Mon exploit à moi il était là ! D'habitude c'était une mi-temps des matchs de l'OM en Coupe d'Europe mais dès le retour aux vestiaires je filais dans ma chambre et ce n'était même pas envisageable de négocier une prolongation. Lorsque le coup d'envoi de ce mythique CSP Benetton Trévise fut donné à 21h15, je pris place sous la table de la cuisine avec une sensation bizarre : je découvrais le stress. J'avais quand même du mal à comprendre ce que Benetton que je voyais en pub à la télé venait faire dans le basket. Tel Jimmy Verove face à des consignes de Majlkovic, je me répétais sans cesse les mots de mon père "Kukoc faut pas le lâcher d'un centimètre" et nerveusement je suivais ses moindres faits et gestes. Je n'ai que peut de souvenir du match en lui même. Je me souviens seulement parfaitement de l'interception de Forte et du dernier lancer franc de Zdovc. Je revois ma mère hurler au buzzer final couvrant la voix de Patrick Montel. Le téléphone sonna aussitôt, c'était mon père qui avait pû voir la fin du match. Il riait. Il ne savait que dire "ils l'ont fait". Moi je savais qu'il allait pouvoir être intouchable à la caserne de Montrouge pendant plusieurs jours et qu'il pourrait s'en donner à cœur joie avec son sergent chef béarnais (déjà le complot à l'époque...).
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La folie des victoires est belle car elle occasionne des comportements incontrôlés. Je revois alors ma mère prendre les clés de la peugeot 305 et me dire "on va en ville klaxonner". Limoges était noir de monde. Je n'ai revu cette liesse que pour la Coupe du Monde 1998. Même la Korac 2000 ne fut pas aussi bruyante et folle. Il était minuit passé. Je me laissais porté par l'allégresse ambiante. Ma mère fut prise d'une seconde folie "on va les attendre à Bellegarde". Non vraiment ce 15 avril 1993 était complétement dingue. Dans un aéroport noir de monde, je pus, après trois heures d'attente, apercevoir une chose brillante depuis le balcon portée par de grandes silhouettes. J'en ai conclus que c'était nos héros. J'étais exténué mais heureux. Pour la seule fois de ma vie d'écolier, ma mère m'autorisa à ne pas aller en classe le lendemain.
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Je ne participais pas à la parade en ville car nous devions aller chercher mon père à la gare des Bénédictins. Petit à petit la réalité de ma vie d'enfant a repris le dessus. Ce n'est que quinze jours plus tard que je compris la portée nationale de cet exploit sportif. Je partais avec mon équipe de foot pour un tournoi à Angers lors du week-end du 1er mai. A notre arrivée, il y avait une présentation des équipes. Lorsque le nom de Limoges fut prononcé, il fut suivi par une belle ovation. Avec mes copains, nous nous sommes regardés un peu interloqués. Nous venions de découvrir une sensation bizarre : nous étions fiers d'être limougeauds et c'était grâce au Limoges CSP !!!
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